D’habitude je m’ennuie dans les keynotes en conférences, et j’ai donc été agréablement surprise par la qualité de plusieurs d’entre elles dans les conférences de cette année. Parfois, j’ai même préféré les keynotes aux sessions classiques.
Devoxx – La problématique du contrôle des technologies de l’information
Eric Filiol est un expert en sécurité informatique, Directeur du centre de recherche de l’ESIEA et à la tête du laboratoire Confiance Numérique et Sécurité (anciennement laboratoire de cryptologie et virologie opérationnelles). Il revient notamment sur le danger des gouvernements qui souhaitent obtenir le contrôle des données personnelles des citoyens.
En effet, la plupart des citoyens ne soucie pas de leurs vies privées. Or comme le rappelle Eric Filiol « c’est notre vie privée qui fait de nous des hommes libres et ce que nous sommes fondamentalement ». Le fait de ne se comporter qu’en consommateurs (ie laisser le contrôle de ses données à des tiers parce que c’est plus facile que de contrôler soi-même) aide donc les gouvernements dans leur démarche de surveillance généralisée. Tout cela est aggravé par le fait que nos dirigeants ne comprennent pas, ou font semblant de ne pas comprendre, les enjeux des nouvelles technologies.
Ce qui est inquiétant c’est que la plupart des pays du G-20 évoluent petit à petit vers des dictatures numériques, pilotées par des entités privées, et où la présomption d’innocence sera substituée par la présomption de culpabilité (d’où la nécessité de la surveillance généralisée).
Les développeurs ont ici un rôle fondamental car ils sont les gardiens de la technologie. Ils ont également une lourde responsabilité car les portes d’entrées de la surveillance sont souvent des bugs !
Mix-IT – Cloud et vie privée
Cas particulier, je n’ai pas assisté à cette conférence, même si j’en avais grandement envie. D’après les retours que j’ai lus sur Twitter, la keynote de Tristan Nitot a été beaucoup appréciée, peut-être est-ce dû à l’actualité et à l’implication du speaker dans la lutte contre le Projet de Loi Renseignement.
Elle était quant à elle centrée sur les données personnelles et leur utilisation. Depuis l’arrivée des smartphones, tablettes et autres objets connectés, les données personnelles sont de plus en plus utilisées, et les partager avec des sociétés privées est considéré pour beaucoup comme un standard. Pourtant, aucun contrôle n’existe sur ce qui est fait de nos données, et il est difficile de les migrer d’un service à l’autre. Il n’est donc pas aisé d’en reprendre le contrôle.
A l’instar d’Eric Filiol, Tristan Nitot insiste sur l’importance de la vie privée, car elle est nécessaire pour la liberté : une personne qui se saura surveillée changera fatalement son comportement (théorie du panopticon). Or les gouvernements cherchent de plus en plus à s’immiscer dans nos vies privées, comme l’a révélé Edward Snowden. Aussi, il invite le public à se manifester, à prendre position contre les initiatives de loi menaçantes pour nos vies privées, et donc nos libertés.
Craft Conf – How to save Innovation from Itself
Craft Conf est une conférence absolument géniale qui a proposé un grand show en invitant Alf Rehn sur scène. C’est avec beaucoup de cynisme que ce professeur en marketing nous interpelle à travers la question de l’innovation.
L’industrie de l’informatique ne pense qu’à innover et à résoudre des problèmes inexistants. Il prend à titre d’exemple des projets sur Kickstarter (berceau de projets innovants !) : un pot intelligent qui compte le nombre de grains exacts de votre muesli, ou bien un dispositif qui filme la réaction d’une personne en train d’ouvrir un colis… Le nombre de ce type d’innovation est tellement important que le terme « d’Innovation pornography » serait même mérité. Pourquoi a-t-on tant de projets « innovants » alors que de nombreux problèmes cruciaux (tels que le manque d’eau potable ou la pauvreté dans certaines régions du monde…) peinent à être résolus ?
La réponse tient probablement au fait qu’au lieu de s’intéresser aux buts et impacts de leurs développements, les développeurs sont sensibles aux sirènes des buzzwords, et préfèrent s’amuser avec les derniers jouets technologiques. Une des conséquences est qu’ils servent des privilégiés qui ont les moyens de s’offrir ces gadgets, alors qu’il y a énormément de besoins sans réponse pour la majorité de la population, plutôt pauvre. Il y a donc un immense marché où l’innovation (la vraie cette fois-ci) a sa place. Aussi, en tant que développeurs, nous avons le pouvoir de faire changer les choses.
Et le hacking dans tout ça alors ?
J’aime beaucoup la définition de Catherine Bracy du hacking : « Le hacking est l’innovation d’un système existant en tant qu’amateur, et c’est également une activité profondément démocratique. Il s’agit d’un mode de pensée critique, de se questionner sur la manière de faire les choses. C’est aussi de réparer un problème dès qu’il est détecté, et ne pas juste s’en plaindre ». Ces trois keynotes illustrent bien cet état d’esprit.
Il y a déjà eu bien sûr des talks de remise en question du rôle de développeur, notamment par Hadi Hariri, avec Developers: Prima Donna’s of the 21st Century ou The Silver Bullet Syndrom, dans lesquels il plaide pour des développeurs moins « bling bling techno driven » et qui soient au service de leurs utilisateurs.
La différence avec les sessions que je viens de présenter est qu’elles interrogent le développeur sur sa responsabilité au-delà du domaine professionnel. Le choix de ces sujets par les organisateurs est intéressant : révèle-t-il une naissance de militantisme au sein de la communauté ?
Vous l’aurez sûrement compris, ces sessions sont à voir (et à revoir) ! Et heureusement pour nous, elles sont toutes enregistrées et seront disponibles sous peu si ce n’est pas déjà le cas.
En espérant que les prochaines conférences de développeurs nous offrent d’aussi belles pépites.