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Vous avez encore un département IT ?

Par Clémo Charnay & Cyrille Martraire

« Vous avez encore un département IT ? » La réplique venait de Mary Poppendieck, présente avec son mari Tom au Scrum Day 2015, au détour d’une longue conversation que nous avons eu la chance de partager avec eux. Celle qui a popularisé le Lean dans le domaine du développement logiciel nous faisait remarquer que la séparation traditionnelle entre une direction métier (business) et un département IT était dépassée.

Deux mois plus tard, la conférence Agile France 2015 consacrait un après-midi à des sessions d’échange de type Open-Space. Parmi ces sessions, avec une quinzaine de personnes intéressées nous avons réfléchi collectivement aux étapes qui seraient nécessaires pour sortir de la séparation traditionnelle direction métier et direction IT… en les fusionnant ! ce sujet faisait suite à notre conférence présentée le même jour et justement intitulée « Et si la suite était la fin de notre département IT ? ». Ce retour d’experience racontait la mise en œuvre de Feature Teams alignées sur les clients, et évoquait comme phase suivante l’intégration des compétences IT directement dans des équipes hybrides business & IT, dans les lignes métier.

Dans cette approche de refonte des compétences métier et des compétences IT en une seule direction, le résultat serait vraisemblablement des équipes mixtes, mêlant des professionnels  d’un métier (traders, officiers de contrôle des risques, comptables…) et des développeurs ou autres professionnels de l’IT capables de maîtriser les logiciels qui supportent ce métier.

L’idée sous-jacente est que ces équipes produisent des résultats d’un point de vue business, grâce notamment à des évolutions rapides et pertinentes des outils informatiques, évolutions réalisées par les programmeurs dans l’équipe.

Une question de proximité

Le raisonnement sous-jacent est que la proximité dans une même équipe optimise l’efficacité de l’équipe. Ici on admet que les enjeux métiers sont intimement liés au enjeux de ses logiciels. Au sein d’une équipe, la proximité physique, culturelle et surtout organisationnelle optimise l’efficacité de la communication entre les membres. Une équipe composée de professionnels du métier et de développeurs optimise donc la création de valeur métier lorsqu’elle est dépend pour une part importante de la performance des logiciels.

Il s’agit de renforcer le lien entre ceux qui font le métier et ceux qui font les outils du métier. En réduisant les couches managériales et le système de contrôle qui va avec du processus budgétaire au pilotage de projet, on réduit le gaspillage et on favorise les opportunités d’innovation.

La ressource rare : la taille maximale d’une équipe

Une équipe n’est pas un groupe quelconque de personnes. C’est un groupe de personnes qui délivre davantage de valeur que la somme de la valeur que chacun de ses membres produirait seul. Mais cet avantage provient notamment du fait que les membres se connaissent parfaitement entre eux. Le problème est que cela n’est possible que pour une équipe de moins de 7-9 membres. Au-delà, ça ressemble à une équipe, mais vous avez de fait plusieurs sous-équipes sans forcément le savoir.

Il n’est pas possible en général de se contenter de rassembler toutes les compétences utiles à des projets dans une équipe, sous peine de dépasser la taille maximale.

Une question d’accélération

Fort heureusement, l’accroissement de la productivité des technologies informatiques rend aujourd’hui possible de délivrer des logiciels rapidement avec un nombre limité de développeurs.  De même, les professionnels du métier voient aussi leur productivité augmenter sans cesse grâce justement à tous leurs logiciels, qui vont même jusqu’à les remplacer parfois.

Ces effets d’accélération en même temps rendent possible des équipes mixtes métier + IT, car il est désormais possible de développer efficacement des logiciels avec peu de développeurs, et de même il est aussi possible de délivrer la valeur ajoutée métier avec seulement quelques professionnels métier.

Les compétences différenciatrices dans l’équipe

Pour travailler l’équipe a besoin d’éclairage et de nourriture. Pourtant il ne viendrait à l’esprit de personne d’inclure le cuisinier et le régisseur qui change les ampoules dans l’équipe. Leur contribution, bien que nécessaire, n’est en général pas suffisamment différenciatrice pour mériter une place dans l’équipe, où les places sont limitées. C’est donc une raisonnement d’opportunité qui doit guider les décisions d’inclure ou non certaines compétences. L’équipe idéale contient toutes les compétences qui doivent interagir souvent ensemble pour délivrer ensemble un maximum de valeur. Les autres compétences peuvent rester en-dehors, dans des équipes transverses malgré tout, ou par appel à des société spécialisées du marché.

A titre d’exemple, un ou une spécialiste des technologies infrastructure et en particulier du Cloud ne sera pas nécessaire dans l’équipe lorsque l’équipe utilise le Cloud comme une simple commodité ; en revanche si l’équipe utilise le Cloud comme un avantage stratégique, alors ces même compétences seront probablement pertinentes au  sein même de l’équipe.

Composants partagés et tragédie des biens communs

La gestion collective du bien commun est le principal risque de l’approche. Les équipes et en particulier leur management peut facilement être tenté de développer pour le court-terme à leur bénéfice immédiat et local, sans se soucier de l’avenir des composants, aggravant leur dette technique alors qu’ils sont partagés par tous.

La réponse standard est la mise en place de communautés de pratiques transverses, par composant, zone métier ou compétence technique. D’autres outils ont montré leur efficacité tel que l’organisation de Hackathons transverses d’une journée autour d’un thème fédérateur, ou des Free Days individuels sur des sujets libres.

Les approches d’architecture transparente et de documentation vivante peuvent aussi répondre à cette problématique de gestion collective du bien commun : plus la qualité des composants est visible par tous (métriques, diagrammes et autres documents auto-générés entre autre), plus il devient difficile de dégrader sans que cela ne se voit, et inversement plus les envies d’améliorer peuvent s’exprimer librement et à moindre coût de coordination.

Quid des économies d’échelle ?

Cet argument est souvent surévalué pour justifier la maintien de la situation existante.

Avec l’essor des solution open-source la mutualisation du coût des licences est de moins en moins critique, et de plus rien n’empêche un acheteur de gérer spécifiquement la question de l’optimisation des achats de licences, car ce n’est souvent pas différentiateur. Des sociétés extérieures peuvent aussi ponctuellement intervenir pour ces optimisations, avec souvent un savoir-faire supérieur.

Le même raisonnement s’applique aussi pour le recrutement, les formations, les besoins généraux de matériel, secrétariat, et même aux compétences IT hautement spécialisées. Ces dernières peuvent rester sous la forme de sociétés de service et de conseil internes, ou se faire directement par recours aux sociétés spécialisées tierces.

Les obstacles

  • Culture managériale et habitudes : Une direction IT est un territoire, refondre l’IT dans le métier revient à rebattre les cartes, potentiellement au détriment de certains chefs de territoires IT qui ne vont pas se laisser faire.
  • Que deviennent les anciens managers IT? Certains peuvent devenir manager transverses des développeurs, mais d’autres devront se recycler. Passer côté métier, devenir développeur, partir en mobilité interne voire rejoindre une autre aventure ailleurs ? C’est une question importante.
  • Management des compétences techniques : Le management des développeurs peut être intégré dans l’équipe, les développeurs étant des équipiers parmi les autres, ou transverses avec des managers IT qui gèrent avant tout les carrières.
  • Culture managériale du métier:  Depuis le manifeste agile et toute la dynamique associée, la culture IT a finalement beaucoup réfléchi aux questions du management (Management 3.0 entre autres), alors que ce n’était pas forcement le cas dans la culture du côté métier. On observe donc parfois un retard sur ce plan là, qui peut être un obstacle.

Conclusion

La principale conclusion de la session était que les obstacles ne sont pas si effrayants ou insurmontables qu’il n’y paraît à première vue. Une fois la décision prise, il s’agit surtout d’une question de réglages en jouant sur les différents paramètres. Et si vous regardiez cela de plus près dans votre organisation ?

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Directeur Technique d'Arolla

1 comment for “Vous avez encore un département IT ?

  1. 24 juillet 2015 at 12 h 55 min

    Et encore reconnaissant de l’accroissement de la productivité des technologies informatiques qui ne cessent de nous aider dans l’amélioration de productivité et du travail.